" Le but de l'art n'est pas le déclenchement d'une sécrétion momentanée d'adrénaline,
mais la construction sur la durée d'une vie d'un état d'émerveillement et de sérénité."
Glenn Gould, Pianiste
Les Prémisses
Il s'agit d'éléments à partir desquels s'esquisse l'aventure de la Présence. Ce sont des observations, des réflexions qui sont des hypothèses de recherche à approfondir et à vérifier. Approfondir en les croisant avec d'autres domaines de connaissance. Eprouver en concevant des conditions d'expérimentation (rencontres, pratique, contemplation...).
L'ordre de leur présentation vise l'intelligibilité de la démarche et de la recherche. Pour autant, c'est de leur dialogue que se profile et se vit l'équipée. Le premier élément, sous forme de question, " C'est quoi ce bordel ? " présente l'hypothèse qui polarise la recherche. Elle fixe le cap de notre aventure : conduire l'Ego vers sa plénitude, la Présence. Pour l'instant, je conçois l'Ego comme la modalité par laquelle se structure notre identité au gré de notre histoire. Nous en faisons une entité et la confondons souvent avec notre être véritable.
Le trois autres sont en quelque sorte des instruments de navigation. Chacun d'eux est une entrée possible dans le mystère de la Présence.
La formulation évoque le processus qui conduit à la prise de conscience de l'aventure en elle-même et à l'énoncer pour chacun.
L'observation, en mettant à jour ma cécité et en sollicitant toutes les dimensions de mon être, elle m'apprend à contempler la Présence.
L'art joue un rôle décisif pour moi. C'est pourquoi, en m'appuyant sur Brel, je présente l'approche du Talent qui me conduit à une pratique artistique ouverte sur l'expérimentation.
La recherche s'approfondit en explorant chaque prémisse, ainsi que leur interdépendance et en proposant des conditions pour expérimenter les compréhensions qui se dévoilent .
" Alors,
c'est quoi ce bordel ? "
Propos de Daniel Balavoine recueillis à la sortie du spectacle Starmania.
J'ai été saisi très tôt par la question du sens de l'existence. Récemment elle m'est apparue sous cette forme : " c'est quoi ce bordel ? "
Cette manière d'interroger dédramatise l'énigme de la vie, tout en pointant un " étonnement " ! Les circonstances m'avaient d'abord conduit à envisager le sujet sous son angle le plus sérieux où il est question de guérir de mes trauma et trouver ma mission de vie pour sauver le monde. Et oui, pas moins que ça et j'espère parfois encore me faire mordre par une araignée radioactive et avoir droit à mon costume moulant de super héros.
Chemin faisant, je suis tombé sur la sculpture. Et là, à travers la quête de la créativité, une autre facette de l'épineuse devinette du sens s'est dévoilée, celle de l'identité. Un grand classique pour un artiste me direz-vous !
Charles Dubois, le blues du businessman (Starmania) :
Ce sont les tribulations mystiques d'Henri Le Saux (moine bénédictin) en Inde, qui sont venues illuminer mes observations.
Au-delà des caractéristiques auxquelles nous sommes accoutumés à nous identifier (grand, beau, fort et intelligent me concernant), ce moine me dit que le fondement de notre identité est l'Être. Il m'invite à ne pas le confondre avec ses attributs...
De là vient la formulation du cap de mon périple : conduire L'Ego, cette conscience superficielle de mon identité vers la plénitude et la profondeur de mon être : la Présence.
La Formulation
Commençons par un propos de Jacques Brel :
" Un homme passe sa vie à compenser son enfance ". Voilà ce que l'artiste a saisi à 40 ans. Le phénomène m'est apparu plus tard. Je suis passé par bien de péripéties avant de saisir que mes choix sont autant de tentatives pour réaliser les "étonnements" de mon enfance.
Un petit mot de David Bowie :
Les mots de la popstar résonnent avec mon intuition. Je sens que mes sculptures et plus largement mon travail sur la forme me permettent de comprendre quelque chose de moi-même et de ma relation au monde.
Pour Bowie et Brel, cette prise de conscience de leur travail d'artiste comme chemin vers un mystère se fait tardivement. L'un dit : " You never learn that until later on " et l'autre : " à 40 ans, on s'en aperçoit, ça c'est un autre problème. "
Cette vision de l'art me fait songer aux travaux d'Arno Stern. A partir des ateliers de peinture qu'il organise pour des orphelins de guerre, il met en place le " jeu de peindre ". Le principe est de permettre à chacun de faire l'expérience du plaisir de la trace et du geste, hors visées esthétiques ou thérapeutiques.
Puis lors de ses voyages dans des contrées éloignées de notre civilisation, il fait peindre les enfants et constate des formes similaires à celles observées dans ses ateliers parisiens.
De ces éléments, il fait l'hypothèse que dessins et peintures sont des traces dont la vocation universelle est la formulation d'une " mémoire organique ", avant d'être des expressions esthétiques. Ces dernières seraient une conséquence, ce qui n'enlève en rien à leur importance !
Par les découvertes d'Arno Stern, j'envisage désormais ma pratique artistique comme un véritable jeu de piste pour moi-même avant tout. Ce dernier consiste à remonter les traces laissées par mon travail plastique. Elles me semblent dire quelque chose d'une dimension mystérieuse en moi, qui trouve écho dans la quête spirituelle.
Par différents langages (plastiques, verbaux, etc...) formuler intuitions et observations issues de mes différentes expériences est fondamental pour élaborer l'aventure de la Présence.
L'observation
Je perçois très peu de choses en réalité.
L'exercice du modèle vivant m'a fait prendre conscience que je ne modelais pas un bras, ou une jambe mais l'idée que je m'en fais en général. Ce tableau de Magritte, "Trahison de l'image" complète mon constat et illustre ma propension à réduire la complexité du réel à la représentation que j'en ai. " Ceci n'est pas une pipe ", mais la représentation d'une pipe...
Psychiatres, ethnologues et spirituels confirment mon expérience, notre représentation du monde conditionne ce que nous voyons et nous rendent aveugles à certaines réalités.
Plus attentif à ma façon d'observer, j'ai noté que je n'accordais importance qu'à une faible partie de mes sens. Au moins doublement aveugle le gars ! Et c'est à partir de cette cécité que je prends des décisions et agis...
La pratique artistique, en pointant un usage limité de mes sens et une perception étriquée du monde par mes représentations, a ouvert les portes d'une observation plus vaste. L'éveil de cette dernière m'a certainement rendu réceptif à la brève manifestation de la Présence.
L'observation est essentielle pour le travail de l'artiste.
Elle constitue pour moi, la voie vers la contemplation de la Présence.
Force est de constater que, je suis souvent absent à cette dernière, comme je suis aveugle à ce qui m'entoure...
Le talent,
c'est d'avoir envie !
J'ai grandi avec l'idée que le talent est une disposition innée. Certes, nous ne partons pas avec les mêmes aptitudes. M'en estimant dépourvu, j'ai appris à être laborieux et crois toujours que le talentueux, l'élu des dieux, peut atteindre sans efforts des sommets inaccessibles à mon travail.
Ainsi, j'entreprends souvent mes projets en me sentant condamné à certaines limites. Je me rends compte en écrivant ces lignes, que cela bride imagination et élans.
Avec une créativité et une originalité synonymes d'esprit supérieur, l'art est le domaine où la notion du talent est le plus présent. A travers les ateliers que j'ai fréquentés et animés, je me suis rendu compte que beaucoup partagent mes a priori. Cela nous fait patauger dans un complexe d'infériorité et rend nos apprentissages souvent pénibles et frustrants.
Par ses mots, Jacques Brel change ma perspective. Maintenant, pour moi aussi, " le talent, c'est d'avoir envie de réaliser un rêve et le reste c'est de la sueur, de la transpiration et de la discipline. "
Associer le talent aux rêves modifie mon approche. J'essaie de ne plus m'interroger sur les miens, mais de mettre à jour mes émerveillements et interrogations d'enfance. Puis de travailler avec énergie à les explorer !
Le chanteur précise préférer le mot " étonnements " à celui de "rêves". Cette nuance est d'importance : mon impression est que le mot rêve renvoie souvent à des réalisations matérielles ou à des situations enviables, alors que " étonnement " contient une saveur d'une autre nature, un goût d'enchantement...
La question du talent est à mettre au regard de l'aventure que l'art peut nous faire vivre ! C'est à dire au service de nos étonnements d'enfant. Apprendre à les observer, les formuler. Et chemin faisant, sonder cette question : " c'est quoi ce bordel ? "
Quels souvenir avez vous de vos étonnements d'enfant ?