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EXOSQUELETTE

Dernière mise à jour : 26 févr. 2021


SYNOPSIS : Dans INDIVIDUATION, Nasa KIM BO, prend conscience d'une rigidité qui enserre ses gestes et sa sensibilité. Ses réflexions et sa pratique le poussent à partir en quête d'une singularité qu'il devine peu à peu . Ce périple l'amène à explorer les arcanes de l'identité et son processus d'élaboration. EXOSQUELETTE est l'expérimentation de ces mécanismes psychiques par l'élaboration d'une structure de tasseaux. Cet exercice pousse sa sculpture vers la recherche de la forme. Un travail photographique projette l'édifice organique dans un autre univers, approfondissant l'étude.


La rame est quasiment déserte, pour cause il n'est que 6h du mat. Je monte et m'installe, le visage encore tuméfié par le sommeil. Sur la banquette un vieux numéro de journal gratuit traîne, je le prends négligemment et parcours d'un œil distrait la rubrique « région ». Alors qu'elle trottait devant l'étang de la Haute Maison , Stéphanie P remarque un corps flottant près du rivage. Malgré le choc, la joggeuse parvient à appeler la maréchaussée. Le rapport d'autopsie annoncera la mort par noyade d'un certain Narcisse N, sans blessure apparente. Interrogés, les proches évoquent un jeune homme aimable sans histoire et donc peu susceptible d'être la cible d'un règlement de compte entre gangs. Un petit détail intrigue cependant les enquêteurs: le macchabée était élégamment vêtu. La piste du suicide est écartée. En effet selon ses amis, l'homme n'était pas en proie à la déprime: tout lui souriait, son business était florissant et son pouvoir de séduction plus à prouver.

Question Cluedo, comment Narcisse est-il mort ? Quel est le mobile, l'arme du crime? Le colonel Moutarde sévirait-il avec le chandelier dans la région, après avoir quitté sa bibliothèque?


Étrange d'introduire un texte d'expo par une scène de crime. J'en avais marre des formules de cet acabit: « Nasa Kim-Bo est un artiste qui joue avec les ombres, pour interroger notre rapport à la contemporanéité d'un espace public qui exacerbe les liens entre acteurs culturels du territoire». Cela me donne souvent l'impression d'une juxtaposition de mots dont la seule qualité est de respecter une certaine syntaxe. Je voulais changer au risque d'exaspérer par une incongruité qui nous éloignerait du sujet. En contrepartie de mon audace, j'exige votre indulgence !


Une légende urbaine de Marne la Vallée, théâtre de ce fait divers fictif, raconte que Narcisse N se serait noyé en se penchant plus que de raison pour admirer son reflet dans l'eau. En réalité, celui-ci aime son image et celle que les autres lui renvoient à telle point qu'il se met en danger et perd la vie. Ce décès est-il réellement accidentel ? Peut-on classer cette affaire sans suite puisqu'il ne s'agit ni d'un suicide, ni d'un homicide ? Suffirait-il d'inciter, par voie de justice, la mairie à dresser des balustrades autour des plans d'eau ?

Sans raison apparente, je pense au phénomène du burn-out qu'un article avait défini comme « un état d'épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d'un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel » (Schaufeli et Greenglass 2001). A en croire la publication, deux salariés sur dix seraient concernés. C'est pas mal quand même! Je me souviens que l'auteur abordait surtout l'affaire sous l'angle juridique et rappelait la position de la Cour de cassation : le burn-out est difficilement considéré comme accident du travail, car il ne résulte pas d'une « action violente et soudaine d'une cause extérieure ».

Suivant les conclusions d'enquête, Narcisse s'aimait trop, les deux salariés sur dix, pas assez. Ainsi, ces cadavres n'ont qu'à s'en prendre qu'à eux-mêmes. Circulez, il n'y a plus rien à voir ! Il me semble que l'on classe ces affaires trop vite. En effet, je me questionne : pourquoi Narcisse vénère-t-il son image à en perdre toute prudence ? Je ne souscris pas à la proposition que ce bougre aie clamsé de trop s'aimer, je crois que l'on ne s'aime jamais assez, c'est donc autre chose ! Pourquoi les deux salariés sur dix travaillent à s'en faire crever, sans qu'aucune cause extérieure ne les y oblige ? Et pourquoi endossent-ils cette charge mentale sans broncher ? Cet écrit n'est nullement une thèse sur le narcissisme, ni sur le burn-out. Les allégations généralement admises sur ces sujets me satisfont peu, voilà tout. En creusant, je note que, dissemblables à première vue, les mobiles semblent puiser à la même source. Les deux chutent : l'un tombe dans l'eau, l'autre dans la dépression (une autre forme de mort). Et si Narcisse et les deux salariés étaient victimes de phénomènes inodores, incolores et ne laissant que des bleus à l'âme ? Comme nous pouvons tous être victimes inconscientes de ces mêmes mécanismes , cette controverse pourrait passer de l'état de « luxe de petit bourgeois oisif » (marrant l'association ! ) à une affaire de santé publique.

Ces questions m'orientent vers une hypothèse de recherche qui relance l'enquête : l'identité. Seulement considérée pour ses attributs, origine ethnique, croyances, qualités et prouesses, cette dernière ne nous mène souvent que vers des nuances de gris du narcissisme . Je pense qu'il est nécessaire d'incorporer à l'analyse une autre dimension, inaccessible à la psychologie seule, cet aspect de l'identité qui touche à notre être le plus profond. Il s'agit d'une terra incognita en notre sein dont certains de nos sages ont dressé la carte. Pour d'autres elle n'est que chimère. Les Bouddhistes parlent d'éveil à une autre manière d'être, l'aphorisme de Delphes est limpide : « connais-toi toi-même » et dans l'ancien testament, Dieu intime à Abraham cet ordre : « vas vers toi-même ». Je pense à cette modalité d'être qui nous dispense de toute justification et nous permet de savourer et d'incarner à notre manière ce don d'exister ...

La phrase que Dieu prononce au baptême du Christ, « Tu es mon fils bien aimé, en qui j'ai toute ma joie ! » dit pour moi une autre facette de l'identité. Je trouve cela dingue la manière dont ce père justifie à son enfant son existence. Dieu ne dit pas : tu seras bon croyant, tu aimeras ton prochain ou tu te sacrifieras sur la croix pour ces blaireaux qui ne savent pas ce qu'ils font. Franchement qui n'aurait pas kiffé entendre cela de son paternel ? Narcisse N, ainsi confirmé, n'aurait-il pu éviter une fin funeste ? Les deux salariés n'auraient-ils pas envoyé balader leur patron ou ne se seraient-ils pas délester d'une charge psychique trop pesante, au lieu de se cramer ?


Lors d'une résidence, la plongé dans la recherche plastique et dans mon histoire a ramené à la surface une soif que je sentais confusément depuis longtemps. Et Carl Gustave Jung m'a aidé à la nommer : L'INDIVIDUATION. Il en donne une définition qui fluctue au grès de sa recherche ; je la fige par commodité et flemmardise : prise de conscience et incarnation d'une singularité profonde. Mais c'est la juxtaposition des deux phrases, « Tu es mon fils bien aimé, en qui j'ai toute ma joie ! » et « va vers toi-même » (prises dans cet ordre), qui me dévoile le mystère de L'INDIVIDUATION. Ces deux sentences, outre leur vertu psychologique indéniable semblent répondre à une énigme plus profonde. Croyant ou pas, les écrits spirituels énoncent une ontologie (qui touche au principe) de l'homme et l'éclairent par-delà particularités et époques. Il se trouve que j'essaie d'être croyant.

Les moments aveugles traversés dans ma sculpture, ces instants où ne sachant quelle forme faire surgir, j'emprunte les sentiers battus de la ressemblance et du « joli », m'ont montré des blocages. J'emprunte des forme au lieu de m'en inspirer et trouver la mienne... Gestes figés, sensibilité anesthésiée, ma sculpture et mon être sont pris dans une gangue. La prise de conscience de ma soif a révélé une énergie encore captive, mais qui me propulse déjà vers cette singularité promise. Partir à sa recherche, implique de faire la lumière sur ce qui enserre mon être et fige de facto ma sculpture. Les deux s'influencent et se nourrissent.

Un grande enquête débute ;il me vient parfois l'envie de dresser dans mon atelier une grande carte à l'instar de celles que l'on voit dans les polars avec un réseau de fils rouges, des photos, coupures de presse et autres éléments susceptibles de traquer le criminel. Qui est venu brider mon énergie dont je sens l'écho lointain ? Qui tient prisonnier ma créativité ? (dans notre cas, c'est un qui pouvant procéder d'un quoi). De qui en qui que vais-je trouver ? Un grand témoin est à convoquer, l'inconscient. La sculpture rend ce grand timide loquace même dans ses silences. Au détour de la recherche, mêlant pratique de la sculpture et toutes lectures pouvant débroussailler cet épineux buisson de l'identité, un ouvrage de la psychologue Françoise Sironi (*) vient me mettre sur la piste des mécanismes de construction identitaire.


EXOSQUELETTE est une étape dans cette aventure et le développement d'un travail que j'ai commencé avec la plasticienne Murielle Mus pour une raison connexe. Il s'agit d'une structure de tasseaux échafaudée dans une boutique. Selon Wikipédia :« un exosquelette ou squelette externe (…), est une caractéristique anatomique externe qui supporte et protège un animal. Beaucoup d’arthropodes (insectes, crustacés) et de mollusques, possèdent un exosquelette. La partie dorsale d'un exosquelette est communément appelée carapace. ». L'homme a avantageusement exploité ce principe pour édifier, réparer ou encore accroître ses aptitudes physiques.

Par analogie, la psychologue Françoise Sironi applique ce principe à la construction identitaire. Ainsi, pourrait-on parler d'échafaudage psychique. Des questions surgissent: quels exosquelettes se sont mis en place pour assurer l'élaboration de mon identité ? Dans quelle mesure ai-je été complice? Jusqu'à présent, face à mes impasses, je me battais contre un fantôme et les coups que je donnais dans le vide me revenaient comme un boomerang. Mettre un mot sur ce corps étranger, lui donnait vie. Comprendre qu'il est le rejeton de mon instinct de survie m'apaisait. Paradoxalement je constate que cet organisme se développe à son propre rythme, se nourrissant de toutes identifications susceptibles de palier à une défaillance identitaire, voir de l'être... Avouons le, peu d'entre nous avons expérimenté les deux phrases de la bible citées plus haut. Je voulais bâtir cette ossature pour en sentir le dynamisme, me familiariser avec ce compagnon qui m'a porté dans des moments troubles et l'apprivoiser car nous avons encore un bout de chemin à faire ensemble.

D'aucun voulait scinder la connaissance en parcelles plus aisées à cultiver. Avec le temps, les frontières se sont figées et notre savoir, s'est morcelé, appauvri. La dichotomie régnant, nous avons perdue une vision d'ensemble qui embrasse tous les phénomènes... Ce dernier travail enrichit ma pratique de la sculpture et l'oriente vers une recherche de la forme.

Ce premier récit a vocation à planter le décors d'un univers de recherche. Deux éléments sont à distinguer: la structure, l'EXOSQUELETTE in situ et un travail photographique, plus graphique. Ce dernier a permis d'approfondir mon exploration et de découvrir un autre univers. Dans les prochains épisodes, je vous entretiendrai de la réalisation de l'édifice, les étapes du travail, son évolution et en quoi l'INDIVIDUATION, est une affaire de forme aussi... Cet écrit est une ébauche, il s'élabore et évolue au fur et à mesure des découvertes !



Nasa Kim bo


(*) Ouvrage de Françoise Sironi: « Comment devient-on tortionnaire? Psychologie des criminels contre l'humanité »

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