Le terme Présence
Dieu, Vérité du dedans, l'invisible de la forme, élan de vie, autant de termes et d'expressions qui disent l'objet de la recherche actuelle. Tous me parlent d'un principe unificateur des manifestations de l'existence. Me rendant compte que le terme présence décrit une expérience essentielle dans ma pratique artistique (présence à son geste, présence à soi) et mon quotidien (présence à soi, à l'autre, au monde), je l'emploie désormais pour nommer ce principe. Il éclaire la relation que je peux établir avec l'élan de vie qui me traverse.
Voici comment je suis venu à l'exploration de cette Présence et en quoi elle me semble primordiale.
" Une vérité du dedans "
" Les vrais artistes sont, en somme les plus religieux des mortels. On croit que nous ne vivons que par nos sens et que le monde des apparences nous suffit. On nous prend pour des enfants qui s'enivrent de couleurs chatoyantes et qui s'amusent avec des formes comme avec des poupées.
On nous comprend mal.
L'artiste digne de ce nom doit exprimer toute la vérité de la nature, non point seulement la vérité du dehors, mais aussi, mais sur tout celle du dedans ! "
Auguste Rodin
L'Invisible
De la Forme
Ce jour là, malgré un genou douloureux, je sortais faire mon jogging. J'en avais besoin. En ouvrant la porte, cette image est apparue. C'est la cage d'escalier qui fait face à l'atelier et avec un smartphone greffé dans la main, le cliché est sauvegardé instantanément de nos jours ! Trafiqué, il me rappelle les atmosphères d'Hitchcock. L'enquête sur " la vérité du dedans", cet invisible de la forme commence.
D'abord
élan de vie
Deux ans auparavant, j'ai fait l'expérience d'un truc fabuleux que j'avais étiqueté "élan de vie". À la fois présence et mouvement.
Depuis lors, mon existence est tendue vers l'exploration de cette manifestation, m'agrippant au moindre indice pour enquêter. Première clarté : mais bon sang, cet élan me traverse en permanence !
Et puis, il y a ce passage de l'ancien testament.
Je suis celui qui suis.
Et il ajouta : C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël :
Celui qui s’appelle Je suis m’a envoyé vers vous."
Exode 3,14
Puis,
Présence
La première fois s'est passée dans un grand tumulte d'angoisses. À cette période, je ne savais quelle direction donner à ma vie d'artiste et doutais de mes talents. C'était un soir, vers minuit à l'atelier. Je m'acharnais sur un autoportrait. Alors qu'agité je me questionnais sur la validité de mon labeur, j'ai senti une impulsion paisible. Ce fut très furtif.
Le lendemain, je m'attelais à la rédaction d'une lettre à l'Académie des Beaux-Arts pour rendre compte de la résidence qu'elle m'avait permis de vivre. Aussi brève fut elle, l'expérience de la veille était le point d'inflexion de cette résidence. Pour la première fois, j'avais perçu consciemment une énergie qui ne provenait pas uniquement de ma volonté. Il y avait quelque chose d'autre. Dans ce flou je l'ai nommée "élan de vie". En cherchant à rendre compte de cela, j'ai saisi que cet élan est présent depuis toujours, masqué par l'ignorance et souvent en attente d'approbation.
Comment lui dégager la voie ?
Après la surprise de cette évidence, j'ai fouillé dans mes expériences, voir si je ne trouvais rien s'y rapprochant, espérant repérer des indications à son propos. Ont resurgi de ma mémoire des saveurs proches de ce que j'ai humé de cet "élan de vie". Il y avait quelque chose de ce goût dans l'esprit, "la vérité du dedans" des formes. Cet invisible qui irrigue le vivant et meut les apparences. Ce même invisible, il me semblait l'avoir aussi observé lors de moments de plénitude dans la nature et à travers des relations privilégiées.
L'élément décisif de mon entendement vint de ma quête spirituelle. Derrière toutes les représentations et les symboles utilisés, j'avais été interpellé par le nom de Dieu :"je suis celui qui suis" (Ex 3,14).
Ce "je suis", sans attribut, comme émancipé de tout superflu, est puissant et paisible. Il me paraissait être la note principale de ma brève expérience. Je comprends que cette nuit là, dans un éphémère interstice, se tenait une Présence, un "Je Suis". Rien d'autre. Et dans cette Présence, une poussée tranquille. C'est décidé, quand je serai grand, je serai comme lui !
Mais pour le moment, je réalise ne pas être en mesure d'énoncer "je suis". Cette possibilité ne m'avais même jamais effleuré ! Et pourtant, j'entrevoie là une plénitude qu'aucun qualificatif ou réalisation ne paraît en mesure de me procurer... Je nomme cette plénitude Présence.
Dans ma conscience habituelle je ne me sens exister que shooté par une forte émotion ou adoubé. Lorsque je me suis prouvé à moi-même et aux autres que par mes qualités et réussites, je suis valable, que je peux donc exister.
Maintenant, j'entraperçois la possibilité d'un espace en moi où peut surgir "je suis" affranchi de ses attributs et de son besoin de consentement. Un contentement d'être, à partir duquel peut s'incarner une qualité de présence, une qualité d'être libre de toute attente.
C'est là d'où je viens et où je suis attendu.
C'est de là que tout procède et retourne.
La joie dans la réalisation d'une sculpture, la paix dans un émerveillement face à la nature, lorsque la prière se fait silence et devient contemplation, une complice compréhension au cours d'un échange, sont certainement des traces de cette Présence en moi et autour de moi.
Actuellement, craintes et insatisfactions disent l'instabilité et la fragilité de cette conscience.
Explorer
La Présence m'apparaît peu à peu comme de contraction de l'espace et du temps. Immuable mouvement.
Ce terme me semble révéler une quête commune à l'humanité, celle de la plénitude. Je ne prétends pas à la nouveauté et m'abreuve à toutes sources pouvant me procurer de précieux indices.
Explorer la Présence consiste autant à en approfondir la nature qu'à examiner les voies y menant. C'est à dire les chemins conduisant à être présent à cette Présence, à cette vie qui nous parcourt en permanence.
J'ai le sentiment que cette expérience est à la racine et à l'aboutissement de nos activités...
Quelle est cette Présence à partir de laquelle je peux oser
énoncer "je suis" ?
L'art (dans sa contemplation et sa pratique) peut-il me révéler quelque chose de cette Présence, de ce "je suis" ?
Voilà ce que j'explore par la voie de l'artiste.